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« Le Fils de Saul ». une fiction périlleuse sur l’absurdité des camps de la mort

Le réalisateur Laszlo Nemes, en compétition à Cannes, filme la quête de sens d'un juif hongrois, déporté à Auschwitz.

Le Monde | 15.05.2015 à 10h20 • Mis Ă  jour le 31.03.2016 à 22h44 | Par Thomas Sotinel

Sélection officielle – en compétition

Le Fils de Saul est présenté en compétition à Cannes, soixante-dix ans après la libération des survivants d’Auschwitz. Premier long-métrage de Laszlo Nemes, réalisateur hongrois de 38 ans, le film emprunte la voie périlleuse de la fiction pour évoquer l’extermination des juifs d’Europe. Depuis la sortie de Shoah. de Claude Lanzmann, en 1985, ces périls ont été répertoriés et débattus.

Le Fils de Saul est réalisé avec une conscience informée des termes du débat. Ce qui ne veut pas dire que ce film rigoureux répond de manière définitive aux interrogations que suscite la représentation du génocide depuis qu’il a été commis, d’abord parce que ces réponses n’existent sans doute pas. Mais il apporte à la représentation et donc à la perpétuation du souvenir un nouvel élément. la nécessité pour des générations qui bientôt n’auront eu aucun contact direct avec les témoins de faire leur la mémoire de cette catastrophe.

A l’automne 1944, Saul Ausländer, juif hongrois, est affecté à l’un des Sonderkommandos (commandos spéciaux) du camp d’extermination d’Auschwitz. Avec d’autres déportés, il fait descendre des convois ferroviaires les juifs venus de toute l’Europe, des ghettos ou d’autres camps, les mène jusqu’au vestiaire des chambres à gaz, les fait s’y déshabiller avant de les y pousser. Les membres des Sonderkommandos sont autorisés à survivre jusqu’à ce que les SS les éliminent, afin d’effacer les traces de leur crime.

Après l’assassinat des déportés d’un convoi à la provenance incertaine, Saul et ses codétenus découvrent un enfant qui a survécu sous l’empilement des cadavres. Les gardes l’achèvent, mais Saul croit avoir reconnu son fils. Il n’a alors de cesse que la crémation du corps soit évitée et se met en quête d’un rabbin afin qu’il dise le kaddish avant de l’enterrer. Cette entreprise coïncide avec la préparation d’un soulèvement du Sonderkommando, motivé aussi bien par la volonté de survivre que par le souci de communiquer au reste du monde l’horreur du génocide.

Barbarie la plus élémentaire

Systématiquement, Laszlo Nemes et son chef opérateur Matyas Erdély suivent les déplacements de Saul. L’écran est étroit, le cadre le plus souvent serré et l’arrière-plan délibérément maintenu dans le flou. On comprend vite que cette restriction du champ de vision correspond à celle que le scénario prête à Saul, qui ne peut accomplir ses tâches qu’en en ignorant l’horreur.

De même, le scénario (du réalisateur et de Clara Royer) ne fournit les informations que par bribes, laissant au spectateur le travail de reconstituer une image cohérente de ce que fut l’existence des Sonderkommandos. On entrevoit les divisions nationales, religieuses, politiques, de classes. Ce que met aussi en scène Le Fils de Saul. c’est l’absurdité de l’entreprise génocidaire, menée par un assemblage de fonctionnaires et de bourreaux qui renoncent à l’organisation industrielle du crime pour revenir à la barbarie la plus élémentaire dès qu’ils se trouvent dans l’incapacité de maintenir la fiction de rationalité dont ils ont entouré le massacre.

Cette notion de perte du sens se communique à tout le film. La quête de Saul, qui veut faire exister une prière dans un monde dont tout prouve que le destinataire de ce message est absent, renvoie plus au théâtre de l’après-guerre qu’à d’autres films sur la Shoah. Mais le prix d’En attendant Godot tient à la distance que Beckett a creusée entre la réalité de l’horreur et la représentation qu’il en donne. Ici, la vaine entreprise de Saul devient un artifice placé dans une réalité impossible à embrasser. Au fur et à mesure que s’accumulent les informations sur le projet de soulèvement, l’obstination du protagoniste qui met en danger ses camarades et leur projet apparaît déraisonnable, puis tout à fait vide de sens, quand bien même il s’agirait de mettre en scène la diversité des comportements des membres des Sonderkommandos.

Enfin, Le Fils de Saul laisse entière la question centrale de l’incarnation des victimes. Les partis pris photographiques permettent de l’éluder en partie. Reste que la séquence qui montre comment les déportés d’un convoi sont abattus au bord de fosses communes parce que les installations ne répondent plus aux objectifs des bourreaux renvoie forcément à d’autres mises en scène d’autres crimes, d’autres massacres et ravale ce crime-là, malgré son caractère unique, au répertoire des crimes de cinéma .

Film hongrois de Laszlo Nemes avec Geza Röhrig, Levente Molnar, Urs Rechn (1 h 47). Sortie en novembre. Sur le Web. www.advitamdistribution.com/le-fils-de-saul